En vingt mois, plus de 55 000 Palestiniens ont été tués dans la bande de Gaza, près de 950 en Cisjordanie occupée. Mais l’entreprise destructrice menée par Israël a débuté bien avant le 7 octobre 2023. Depuis plus de soixante-quinze ans, Israël fait tout pour rendre impossible tout État palestinien, selon Monique Chemillier-Gendreau, agrégée de droit public et de science politique, spécialiste du droit international et de la théorie de l’État, conseillère juridique devant les juridictions internationales, auteure de Rendre impossible un État palestinien. L’objectif d’Israël depuis sa création.
RFI : Dès les premières pages de votre livre, on est alors à la fin du XIXe siècle, on constate que le monde occidental a « sacrifié » le peuple palestinien...
Monique Chemillier-Gendreau : En effet, le projet sioniste de création d’un État pour les juifs en terre palestinienne a été accueilli positivement dans certains milieux et dans certains pays occidentaux. Cela aboutira à la déclaration Balfour en 1917, premier pas officiel de soutien à ce projet. Le secrétaire d’État de Sa Majesté britannique déclare alors au nom du gouvernement britannique que ce gouvernement soutiendra l’immigration juive en Palestine, compromettant ainsi l’avenir du peuple palestinien. La démarche est d’autant plus insolite que la Grande-Bretagne n’a alors aucun titre sur la Palestine et qu’elle prétend donc disposer d’un territoire sur lequel elle n’a pas autorité. En 1917, la Palestine était encore sous le contrôle de l’Empire ottoman. Mais les Anglais convoitaient déjà de se partager avec les autres vainqueurs de la guerre en cours les territoires sous domination ottomane et dans ce partage, de mettre la main sur la Palestine.
C’est ce qui adviendra avec le mandat sur la Palestine de la Société des Nations accordé à la Grande-Bretagne, laquelle ayant inséré la déclaration Balfour dans les termes mêmes de ce mandat, va mettre en œuvre une politique d’immigration des juifs en Palestine qui est à l’origine du problème. Et le « sacrifice » du peuple palestinien est apparu de manière encore plus flagrante lors du vote de la résolution de partage par l’Assemblée générale des Nations unies en 1947. Car c’est bien un « sacrifice » que l’on demandait aux Palestiniens par l’amputation de plus de la moitié de leur territoire. Or, on a tenté de le leur imposer sans leur accorder la moindre compensation, ni la moindre garantie de sécurité sur le territoire amputé qu’on leur laissait. On savait pourtant que les prétentions territoriales d’Israël ne se limiteraient pas à la partie de la Palestine mandataire qui lui était attribuée par la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies en 1947.
En 1948, c’est l’ONU qui prend en charge le « dossier israélo-palestinien ». Mais dès le départ, les Nations unies montrent leur impuissance face au non-respect des clauses et des principes et résolutions de l'institution de la part d’Israël et sur ses intentions, à savoir « s’emparer par étapes de tout le territoire palestinien », comme vous le décrivez dans votre livre. Pourquoi Israël n’a jamais été exclu de l’ONU, puisque cet État a donc dès le départ menti sur ses intentions, à savoir le respect de la Charte de l’ONU et la création d’un État palestinien aux côtés d’un État israélien ? Par ailleurs, Israël n’a jamais respecté les résolutions onusiennes ni le droit international...
L’impuissance des Nations unies est l’une des dimensions du problème palestinien. Israël n’a jamais respecté ni la Charte des Nations unies, ni les résolutions de ses organes, ni les grandes conventions internationales. Et cela est tel que dès la demande d’Israël à être admis aux Nations unies, l’organisation, constatant déjà les violations de la Charte auxquelles se livrait le nouvel État, avait demandé à ses représentants de s’engager solennellement à respecter les dispositions de la Charte, ce qu’ils firent... pour persister immédiatement après dans le non-respect de leurs engagements. Et pourtant, il n’y a jamais eu de sanctions contre Israël de la part des Nations unies et encore moins de projet d’exclusion. Cela s’explique par l’appui indéfectible que les États-Unis accordent à Israël, ainsi que par la complicité de bien des pays européens à ce soutien. Mais ce faisant, ces pays précipitent la crise profonde des Nations unies et la dévalorisation du droit international qui est en cours et qui fait de la planète un bateau ivre sans règles de conduite entre ses membres. Le conflit israélo-palestinien est emblématique de cette crise. Les Nations unies dominées par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et paralysées par leurs divisions, ne sont plus en mesure d’assurer le maintien de la paix qui était pourtant leur fonction principale.
En quoi la guerre des Six-Jours en 1967 a, selon vous, rendu définitivement impossible toute idée d’un État palestinien ?
La guerre des Six-Jours a permis l’occupation militaire israélienne de tout le Territoire palestinien. Entre le départ des Britanniques en 1947 et l’occupation militaire de la Palestine par Israël en 1967, le territoire palestinien avait été administré par la Jordanie pour ce qui est de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est et par l’Égypte pour ce qui est de Gaza. Les droits des Palestiniens s’en trouvaient « gelés », mais préservés. À partir de 1967 et de son occupation militaire, Israël a eu toute liberté pour développer méthodiquement un projet qui avait été moins apparent jusque-là, de politiques très systématiques d’obstruction à la possibilité de création d’un État palestinien. Lorsque récemment, la Cour internationale de justice a été priée de donner un avis consultatif sur les politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, elle a, dans son avis de juillet 2024 conclu que l’occupation, par sa durée indéfinie, était illégale et qu’elle était une annexion de facto.
Tous les éléments constitutifs d’un État, à savoir un territoire, une population, des institutions de gouvernement et le libre choix d’une capitale, ont été méthodiquement attaqués par Israël pour que cet État n’existe pas, ou sinon uniquement sur le papier. Un État existe aussi par le fait qu’il soit reconnu par d’autres États et qu’il entretienne ainsi des relations. Aujourd’hui, 147 États reconnaissent l’État de Palestine, mais pourtant rien ne change...
En effet, la Palestine est aujourd’hui un État, puisqu’il s’est auto-proclamé tel en 1988, qu’il a été reconnu par de nombreux autres États et que l’Assemblée générale des Nations unies l’a reconnu comme tel (tout en différant cependant de l’admettre au sein des États membres des Nations unies). Mais il n’est qu’un État potentiel. Il lui manque en effet la possibilité de devenir un État réel en raison de l’occupation militaire israélienne et du fait que les représentants de l’Autorité palestinienne n’ont aucune des fonctions régaliennes qui caractérisent un État.
Est-ce que, selon vous, Yitzak Rabin est sincère en 1993 lorsqu’il signe les accords d’Oslo ou est-ce que, comme vous le mentionnez, il est à l’image de tous les dirigeants israéliens jusqu’à aujourd’hui, il ne croit ni ne veut d’un État palestinien, sachant qu’il n’a fait aucune concession sur les quatre éléments constitutifs d’un État ?
Personne n’est aujourd’hui en mesure de spéculer sur la sincérité de Rabin en 1993. Mais les faits sont là. Ce sont les franges dures du mouvement sioniste qui ont repris le dessus et aucun des éléments de l’État n’a été consolidé pour les Palestiniens à la suite des accords d’Oslo. Cette négociation, qui s’est déroulée en plusieurs étapes, a ouvert de grands espoirs chez les Palestiniens, car ils pouvaient croire qu’une dynamique s’enclencherait et que l’Autorité palestinienne, autorisée à s’installer en Cisjordanie (alors que jusque-là les représentants politiques des Palestiniens étaient en exil) serait l’embryon d’un futur État. Aujourd’hui, la vérité éclate, notamment avec la résolution votée par la Knesset en 2024 (le Parlement israélien) de ne jamais admettre un État palestinien.
On comprend à la lecture de votre ouvrage qu’il n’y a pas d’option politique possible, qu’il n’y aura pas de négociations, que la volonté d’Israël est claire depuis le début : qu’il n’y ait pas d’État palestinien. D’ailleurs, il n’y a plus de territoire viable pour un État palestinien et le peuple est dispersé depuis 1948. Quelle est alors la possibilité pour qu’un État palestinien, avec toutes ses composantes, prenne forme ? Et est-ce déjà trop tard ?
Il n’est jamais trop tard. La Cour internationale de justice en juillet 2024 et l’Assemblée générale en septembre de la même année ont dit clairement quelles mesures devaient être prises pour qu’il y ait un retour à la possibilité d’un État palestinien : le démantèlement des colonies de peuplement israéliennes, le retour des Palestiniens en exil, la réparation de tous les dommages qui leur ont été faits. Il faut maintenant que ces mesures soient rendues effectives à travers des mécanismes de sanctions décidées par la communauté internationale. Cela n’est impossible que parce qu’il n’y a pas de volonté politique de la part de la communauté internationale. Cette absence de volonté politique est à l’origine du pourrissement du problème. Car, contrairement à ce que l’on a cru bien à tort avant le 7 octobre 2023, on ne fera pas disparaître la question palestinienne en l’étouffant dans le silence. Le peuple palestinien qui a montré en bien des occasions sa résilience, n’abandonnera jamais sa juste revendication nationale.
Ça peut sembler anecdotique, mais comme vous le notez dans votre ouvrage, le drapeau palestinien est érigé par Israël comme une menace à sa sécurité. Avec une telle force de feu, comment ce symbole de revendication nationale peut représenter une crainte pour Israël ?
Cet exemple montre comment Israël craint tout symbole d’un État palestinien. Et l’argument de la sécurité comme celui de l’antisémitisme sont l’objet de la manipulation israélienne pour masquer le déni des droits des Palestiniens. Le fait de pouvoir disposer d’un drapeau est parfaitement légitime de la part d’un peuple qui a été reconnu comme État par l’Assemblée générale des Nations unies en 2012.
Une conférence internationale* co-présidée par la France et l'Arabie saoudite, qui doit relancer une solution pacifique au conflit israélo-palestinien dite « à deux États », doit se tenir prochainement à New York. Cette conférence ressemble à une humiliation supplémentaire pour les Palestiniens, sachant que lorsqu’on achève la lecture de votre ouvrage, il en ressort un puissant sentiment d’injustice envers les Palestiniens, et ce, depuis la fin du XIXe siècle. Et le monde occidental actuel est pour le moins passif.
Oui, la passivité du monde occidental est la source même du problème. Il faut la dénoncer sans relâche. Et nous allons voir comment cette conférence va se dérouler. Israël commence à être considéré comme un État paria par certains gouvernements. La mobilisation en faveur des Palestiniens s’accroît au fur et à mesure que les crimes d’Israël s’aggravent. Les gouvernements y sont sensibles, même si beaucoup d’entre eux la répriment.
Ces derniers jours, deux plaintes ont été déposées en France : une plainte contre X pour meurtre et génocide déposée par une grand-mère accusant les autorités israéliennes d'être responsables de la mort de ses deux petits-enfants français à Gaza en octobre 2023. Puis, deux plaintes pour complicité de génocide et de crimes contre l'humanité contre des Franco-Israéliens soupçonnés d'avoir participé à des actions de blocage de l'aide humanitaire à Gaza entre janvier et mai 2024. Ces deux plaintes sont inédites. Est-ce qu’elles pourraient symboliser les prémices de la fin de l’impunité d’Israël ?
Ces plaintes sont indispensables pour tenter de faire cesser l’impunité d’Israël. Mais elles ne sont pas encore à la hauteur de ce qu’il faudrait faire pour faire cesser cette impunité. Toutefois, il est exact qu’elles représentent un symbole qui est peut-être une lueur d’espoir dans une situation tragique. Indépendamment de ces démarches judiciaires, on constate certains changements encore minimes, mais inédits dans les positions politiques. La mobilisation des opinions publiques, en dépit de la répression que subissent les militants pro-palestiniens en France ou aux États-Unis, est un facteur qui peut être décisif.
À la lumière de ce qui se passe à Gaza, y aurait-il, selon la juriste que vous êtes, à accuser l'Occident qui arme et soutient Israël de complicité de crime de guerre et de génocide ?
L’Occident, par ce soutien, est complice de tous les crimes commis par Israël. La question des livraisons d’armes et de matériel militaire est centrale. Les crimes de guerre sont avérés et massifs et l’intensité de la guerre à Gaza, les méthodes employées, l’errance sans fin et la famine relèvent d’une politique génocidaire. La justice est lente à s’exprimer, mais l’heure viendra où elle demandera des comptes à Israël et à tous ceux qui l’ont soutenu dans son entreprise criminelle. Il est inadmissible que les États ne passent pas, d’abord à la cessation de leur coopération avec Israël, et ensuite aux sanctions ou aux mesures qui pénaliseraient cet État criminel. Les États arabes ont leur part de responsabilité. Derrière leur soutien apparent à la cause palestinienne, il y a une absence totale de volonté politique. L’arme du pétrole est entre leurs mains et elle serait décisive pour Israël.
Mais, bonhomme, tu te caches sans arrêt derrière de multiples pseudos ("CID", "CAM", "BRO" etc... Lire la suite
Cet argument du "d'abord" est en fait profondément lâche : il est utilisé lorsque ses promoteurs Lire la suite
...dénommé "CID", "CHAM", "BRO" etc...sur "le racisme anti-Noirs des Arabes" ! Lire la suite
Le commentateur effréné dénommé tantôt "CID, tantôt "CHAM", tantôt "BRO" etc...n'a toujours pas c Lire la suite
...et celui d'obsession. Lire la suite