L'invraisemblable come-back de l'afrikaans

Raphaël CONFIANT

   Il y a des retournements de l'histoire qui ont de quoi nous laisser pantois. L'un d'eux nous a été fourni récemment à l'occasion de la coupe du monde de rugby lorsqu'au cours d'un match entre l'Afrique du Sud et l'Angleterre, un joueur anglais a accusé un joueur sud-africain (l'un des quatre joueurs noirs d'une équipe majoritairement blanche) de lui avoir lancé une insulte à caractère raciste.

   "Le coupable", Bongi Mbonambi, aurait dit "White cunt !" autrement dit "Connard de Blanc !".

   Aussitôt, l'affaire avait provoqué un véritable scandale et d'aucuns demandaient la condamnation de Bongi par la Fédération Internationale de Rugby et son exclusion des autres matches que devait faire l'équipe sud-africaine, notamment de la finale. Or, dès le lendemain, les Sud-Africains ripostaient en affirmant que Bongi aurait, en réalité, prononcé, un expression en...afrikaans : "Wit kant" qui signifie "Le côté ouvert" autrement dit l'endroit où il y a le plus d'espace pour relancer le jeu. Notre propos n'est pas du tout de savoir qui a tort ou qui a raison, mais de nous étonner de l'usage par un Noir de l'afrikaans, la langue des Boers, les plus racistes d'entre les Sud-Africains au temps de l'Apartheid. L'autre communauté blanche, elle, est anglophone et plus récemment installée dans le pays que les Boers, descendants, eux, de Hollandais, et arrivés ... en 1652.

   Leur installation est si ancienne qu'ils ont fini par créer leur langue à eux, l'afrikaans, mélange de hollandais, d'allemand, d'indonésien et de langues africaines comme le zoulou et le xhosa. Langue absolument honnie par les Noirs au temps de l'apartheid ! Que les commentateurs sportifs ayant couvert cette coupe du monde de rugby n'aient pas trouvé étrange qu'un Noir utilise l'afrikaans n'a rien d'étonnant vu que leur cerveau ne va presque jamais au-delà des limites du terrain où se déroulent les matches. Mais que les journalistes généralistes qui ont (abondamment) relayé l'affaire n'y ont rien vu de particulier, hormis une insulte jugée raciste, est tout simplement affligeant.

   Faut-il, en effet, rappeler que le 16 juin 1976, des dizaines de milliers d'élèves noirs sud-africains se sont révoltés contre le projet du gouvernement (dirigé par les Boers) d'imposer la langue afrikaans aux côtés de l'anglais dans l'enseignement public réservé aux Noirs ? C'est que de pidgin qu'il était pendant longtemps, l'afrikaans a fini par devenir une langue de plein exercice utilisée dans la presse, l'administration, la justice jusqu'à produire même des écrivains de grand talent comme André Brink. Remplaçant très officiellement le hollandais à compter de 1925 mais sans pour autant pouvoir vraiment rivaliser avec l'anglais que les Noirs considéraient comme moins marqué par le système d'apartheid. 

   Oui, il y a 47 ans, la police des racistes boers avait ouvert le feu sur ces élèves en révolte (cf. photo illustrant le présent article) et abattu une cinquantaine d'écoliers, chose qui avait provoqué la révolte du quartier de Soweto les jours suivants, provoquant à nouveau la mort de 500 manifestants noirs. Puis, des révoltes vont éclater un peu partout à travers l'Afrique du Sud, contraignant le gouvernement boer à reculer et à renoncer à son projet d'enseigner l'afrikaans aux Noirs. Donc, 1976 : les élèves noirs s'opposent à l'apprentissage de l'afrikaans, payant cette audace de leur vie ; 2016 : les étudiants noirs des universités sud-africaines, 25 ans après la fin de l'apartheid, se mettent en grève et obtiennent la suppression de l'afrikaans comme langue d'enseignement à l'Université. Ainsi, la prestigieuse Université de Pretoria a remplacé l'afrikaans par l'anglais, à compter de 2016.  

   Sauf que les choses sont plus compliquées à cause des...Coloured ou Métis, principalement issus, comme dans la Caraïbe, de l'union forcée entre colons blancs et femmes noires réduites en esclavage (par la suite, ce sera avec des femmes indonésiennes et malaisiennes). Les Métis, qui sont aujourd'hui 5 millions, constituaient une catégorie à part, bien particulière sous le régime de l'apartheid, vivant dans des conditions un peu "moins pires" que les Noirs. Or, les Métis parlent très majoritairement...l'afrikaans. C'est leur langue maternelle ! Conséquence : ils se retrouvent pénalisés à cause de la suppression de l'afrikaans à l'école et à l'université. La fin de l'Apartheid n'a pas réellement mis fin à la distinction entre Métis et Noirs et par exemple, les Métis de la grande ville du Cap protestent régulièrement contre le sort qui est le leur, s'estimant "les grands perdants de la Nation arc-en-ciel".

   Situation socio-linguistique affreusement compliquée donc. 

   Pour en revenir au rugbyman Bongi et à son exclamation jugée raciste à l'encontre d'un joueur anglais, on demeure d'abord perplexe. Comment un Noir peut-il se servir de ce qui était qualifié de "langue de l'oppression" du temps de l'apartheid ? Sauf que la sélection sud-africaine étant principalement composée de descendants de Boers (les descendants d'Anglais jouent plutôt au football), on peut comprendre que Bongi se voit contraint d'utiliser l'afrikaans avec ses coéquipiers. Il n'aurait donc pas dit "White cunt" (Connard de Blanc) comme l'a cru le joueur anglais mais "Wit kant" (le camp ouvert). Il s'agirait donc d'une simple méprise, d'un quiproquo linguistique. C'est en tout cas ce qu'affirment les responsables du rugby sud-africain, toujours dirigé par des Boers, pour prendre la défense de Bongi. En fait, "Wit kant" a été prononcé lors d'une mêlée et ne s'adressait donc pas aux joueurs anglais mais aux coéquipiers de Bongi. C'est que les joueurs sud-africains utilisent toujours l'afrikaans lors des matches afin de ne pas être compris par leurs adversaires. 

   Difficile de trancher dans cette affaire donc mais s'il elle a eu un seul effet positif, ce fut de renforcer le vieux rêve de Nelson Mandela d'union de toutes les "races" d'Afrique du Sud. En effet, ayant remporté la Coupe du Monde de rugby, l'équipe nationale, les Springbocks, est rentrée triomphalement au pays et, par exemple, le maire (blanc) de la ville du Cap a organisé une célébration au cours de laquelle Bongi a été porté aux nues, tout le monde arborant un tee-shirt marqué "Wit kant" pour se foutre de la gueule des Anglais. 

   En fait, ce n'était pas "Wit kant" mais en fait "Wennkant". Fichu pidgin, va !...

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