Kanaky : un montage juridique abracadabrantesque

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         Pour le citoyen moyen qui ne possède pas un doctorat en droit et même pour ceux qui sont docteurs dans d'autres disciplines, l'accord de Bougival entre Caldoches (Békés calédoniens) et Kanaks ressemble à une énigme. 

         La première chose qui saute aux yeux est cette affaire de création d'un "Etat calédonien dans/au sein de l'Etat français" ! Pour un pays aussi jacobin et centralisateur que la France, il y a de quoi en avoir la berlue. Comment pareille chose serait-elle possible ? A la limite si le ministre Valls avait voulu innover, il aurait proposé aux protagonistes un "Etat associé" comme l'est, par exemple, Puerto-Rico avec les Etats-Unis quand bien même cela aurait constitué une innovation au sein de l'univers juridico-constitutionnel français. La deuxième bizarrerie est la double nationalité calédonienne et française puisque si jamais cet accord est validé (il devra l'être à la fois en Kanaky et par le parlement français), cela signifie qu'à compter de ce jour-là, tout enfant qui naitra en Kanaky aura d'emblée une double nationalité !!! Dans le monde réel (et non celui fantasmagorique de l'Accord de Bougival), on ne nait jamais avec une double nationalité. On l'acquière ! Valls, le natif de Catalogne, est pourtant bien placé pour le savoir, lui qui n'a acquis la nationalité française qu'à l'âge de...19 ans. Double nationalité qui lui avait permis, soit-dit en passant, de se présenter aux élections municipales de Barcelone, la capitale de la Catalogne, après s'être fait virer comme Premier ministre de la France. Farouchement opposé aux indépendantites catalans, il avait alors reçu une mémorable baffe électorale : 13% des voix.  D'ailleurs, comment croire un seul instant que quelqu'un qui ne voulait pas que sa terre natale, la Catalogne, puisse accéder à la souveraineté se montre attentif aux légitimes revendications du peuple kanak ?  

 

       https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/27/a-barcelone-manuel-valls-subit-un-revers-aux-elections-municipales_5467733_3210.html

 

       La troisième bizarrerie de l'accord de Bougival est qu'il dit que l'Etat calédonien pourra être reconnu par la communauté internationale. Cela signifie-t-il qu'il pourra disposer d'un siège à l'ONU ? Et par conséquent voter contre la France quand celle-ci s'opposera, par exemple, à la Russie ou aux représentants de la Palestine ? Ah oui, l'accord précise que l'Etat calédonien pourra à terme se doter de certains pouvoirs régaliens ? OK mais lesquels exactement ? Si l'on considère par charité intellectectuelle que la France accepte de se métamorphoser en Etat fédéral comme les Etats-Unis ou la Russie, là encore on est dans l'imbroglio le plus total. En effet, ni le Texas ou le Wisconsin et enore moins la Tchétchénie ou le Daghestan ne disposent du pouvoir d'établir des relations diplomatiques avec un état étranger et encore moins d'avoir leur propre politique internationale. 

    Un Etat "dans" un autre "Etat", ça n'existe nulle part au monde et ça n'a jamais existé depuis que le monde est monde. Ce qui a existé et existe encore dans de rares contrées de ce même monde ce sont les statuts suivants : colonie, département ou région d'Outremer, territoire autonome et état associé. Sorti de ces quatre statuts, il n'y a rien, hormis celui d'Etat indépendant. L'accord de Bougival, s'il parvient à être adopté, sera donc ni plus ni moins qu'un monstre juridique. Quelque chose qui tournera très vite en eau de boudin et provoquera inévitablement de nouvelles émeutes encore plus dévastatrices que celles que la Kanaky aura connues jusqu'ici. Les représentants des Caldoches et des Kanaks le savent pertinemment ! Pourquoi ont-ils alors accepté de le signer ? On ne peut à ce stade qu'émettre des hypothèses. 

    On peut supposer que les Caldoches ont cherché à jouer la montre et cela pour deux raisons : d'abord parce que le corps électoral sera dégelé c'est-à-dire que tout Français qui émigrera ces temps-ci en Kanaky aura le droit de voter à partir de 2030. Cela peut sembler loin dans le temps mais c'est le temps qu"il faudra justement pour faire basculer définitivement le rapport démographique entre les deux communautés d'autant que les Kanaks ne représentent plus que 40% des habitants de leur l'île (contre 80% pour les Martiniquais ou les Guadeloupéens). S'il y a un risque de "génocide par substitution", pour reprendre l'expression d'Aimé Césaire, c'est bien en Kanaky et pas aux Antilles et encore moins en Guyane, pays où certes les Créoles (noirs et métis) sont en voie dêtre mis en minorité (si ce n'est déjà fait !) mais pas par les Métros. Par l'immigration brésilienne, haïtienne, surinamienne et depuis peu vénézuélienne. Et, autre hypothèse, si jamais la Kanaky ne recevait pas suffisamment d'immigrés européens à la date de 2030, est celle-ci : il est tout à fait possible que les Caldoches envisagent carrément une partition de l'île : le Sud et sa capitale Nouméa pour les Caldoches et assimilés (parmi lesquels d'ailleurs nombre de Polynésiens, d'Antillais et de Réunionnais) qui demeurerait territoire français ; le Nord, qui deviendrait indépendant, aux Kanaks. Ce n'est pas invraisemblable du tout si l'on songe à l'exemple de l'Indonésie où, au termes d'une guerre intestine féroce, les habitants du Timor-Oriental, sont parvenus à créer un état à eux en 1975. Au fait, pourquoi prendre cet exemple très peu connu ? On peut prendre celui de l'Archipel des Comores qui lors du référendum sur l'indépendance, en 1974, avait voté massivement "OUI". Sauf l'île de Mayotte ! Laquelle est donc restée française. C'est un peu comme si lors du même type de référendum pour les iles de Guadeloupe, seule Marie-Galante votait "NON" et que la France décidait de la conserver dans son giron. 

   Du côté de la délégation kanak présente à Bougival et qui a accepté de co-signer cet accord abracadabrantesque, on peut également émettre des hypothèses. D'abord, le fait que les indépendantistes les plus radicaux ont été exclus des discussions. Tel Christian Tein et plusieurs de ses camarades qui, on s'en souvient, avaient été déportés dans l'Hexagone et emprisonnés dans des centres pénitentionnaires éloignés les uns des autres à la suite des dernières émeutes. Entre parenthèses : le colonialisme n'a pas la mémoire courte et a cette fois évité l'erreur de les placer tous à la prison de Fresnes comme ce fut le cas, en 1958, des militants de l'OJAM (Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique) accusés d'Atteinte à la Sûreté de l'Etat. Autre hypothèse : on a forcé la main aux négociateurs kanaks lors des discussions de Bougival, profitant des divergences existant entre les différents mouvements indépendantistes. Ou, ce qui serait à la fois triste et tragique, on les a roulés dans la farine.

   Quoiqu'il en soit, tout parti politique antillais ou guyanais de tendance autonomiste ou indépendantiste qui se rallierait à ce nouveau statut pour le moins bizarroïde et chercherait à créer "un Etat martiniquais ou guadeloupéen AU SEIN de l'Etat français" se fourerrait les doigts dans le nez. 

   NB. Le plus tragique dans tout cela à que l'invité d'honneur du défilé du 14 juillet a été le président de l'Indonésie, pays qui, à cause de ses bas salaires et de ses exportations bradées, a contribué à ruiner l'industrie du nickel calédonien...

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