11 novembre : ne pas trahir la mémoire des nôtres qui sont morts sur les champs de bataille d'Europe et d'Orient

Raphaël Confiant

   Face au 11 novembre qui commémore l'armistice après l'une des guerres les plus barbares de l'histoire de l'humanité (9 millions de morts), sur fond d'indifférence quasi-générale ont surgi depuis quelques années deux discours antagonistes.

   Il y a d'abord, celles et ceux qui glorifient nos soldats antillais "tombés au champ d'honneur" au Chemin des Dames ou aux Dardanelles "au service de la mère-patrie" à savoir la France. Il y a ensuite celles et ceux qui tiennent le discours inverse et dégradent nuitamment les monuments aux morts dans différentes communes de la Martinique. Aucune de ces deux prises de position antagonistes ne respecte la mémoire des nôtres !

   Pourquoi ?

   Parce que la première prise de position tente de nous faire accroire que les Antillais qui ont été enrôlés dans cette "Première Guerre Mondiale", guerre qui n'était pas la leur (puisque fils de personnes ayant été réduites en esclavage durant des siècles), seraient montés au front la fleur au fusil. Avec enthousiasme ! Avec le désir de payer le fameux "impôt du sang" qui consiste à remercier la France d'avoir aboli l'esclavage un demi-siècle plus tôt. Il s'agit d'une vaste blague car cette expression émane de la petite bourgeoisie de couleur, de la "mulâtraille", qui, dès la fin du 19è siècle s'est employée à forger de la France l'image d'une "mère-patrie généreuse". Or, pourquoi alors n'a-t-elle pas envoyé ses fils combattre massivement aux côtés de cette dernière ? Pourquoi la quasi-totalité des conscrits furent des fils de coupeurs et d'amarreuses de canne à sucre lesquels, en 1914, ne parlaient pas français, ne savaient même pas où la France se situait (d'où les expressions vagues de "Là-bas" et de Lot bò-a, encore en usage de nos jours, pour désigner cette dernière). Oui, ce sont les fils des "Nègres d'habitation", sous-payés, maltraités, vivant dans des "Rues-Cases-Nègres" comme l'a décrit Joseph Zobel qui ont servi de chair à canon sur les champs de bataille d'Europe et d'Orient (d'où le fameux "Dadanelles" que l'on trouve dans les chants du bèlè). 

   Le discours de "'l'impôt du sang" est donc tout simplement une fallacieuse réécriture de l'histoire que celles ceux qui le promeuvent encore aujourd'hui, en ce 21è siècle, devraient avoir honte de tenir. D'aucuns se proclament pourtant "historiens", or si tel était le cas, ils ne peuvent ignorer que les soldats antillais qui partirent combattre "Là-bas" l'ont fait D'ABORD ET AVANT TOUT pour fuir l'univers de l'Habitation (Plantation). Car à l'abolition de l'esclavage en 1848, rien ne fut donné aux "Nouveaux Libres". Alors qu'aux Etats-Unis, furent attribués ou en tout cas promis à chacun de ces derniers "twenty-two acres and a mule" (vingt acres de terre et un mulet) afin de refaire leur vie, aux Antilles françaises, aucun pécule ne fut offert à aucun descendant d'esclave. Pas un seul centime ! Dès lors, d'esclaves maltraités, ils se transformèrent en travailleurs agricoles surexploités alors que leurs anciens maîtres, les Békés, reçurent, eux, des dédommagements financiers de la part de l'Etat pour pallier la perte de leur cheptel humain. Lequel dans bien des cas refusa son sort, abandonna les "habitations" pour s'installer dans les mornes reculés ou dans les bourgs, chose qui contraignit les Békés à importer des milliers d'Indiens et de Chinois pour les remplacer dans les champs de canne. C'est ce que j'évoque dans les deux ouvrages ci-après.

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   Le conscrit antillais qui est parti à la guerre 14-18 l'a fait principalement pour échapper à un univers dans lequel il était toujours "un zéro devant un chiffre" et non pour payer un prétendu "impôt du sang" ni pour défendre une quelconque "mère-patrie" dont il n'avait aucune idée précise. 

   La deuxième attitude consiste, à l'inverse, à dégrader les monuments aux morts sur lesquels sont inscrits les noms de nos soldats décédés pendant cette guerre. On ne sait pas très bien quel message est ainsi véhiculé : les nôtres auraient-ils été des traitres, des complices du colonialisme, partis défendre l'oppresseur ? Ou alors ces monuments aux morts serviraient-ils non pas tant à glorifier leur mémoire qu'à renforcer l'assimilationnisme de manière à la fois habile et perverse ? Ou encore cette guerre entre "Blancs" n'étant pas la notre, nous n'aurions que faire de ces sortes de panthéons sur lesquels sont gravés les noms de nos soldats morts sur le champ de bataille ? On se perd en conjectures. 

   Aucun de ces deux positionnements ne respecte la mémoire de nos défunts. 

   Ici, on fait face à l'incurie de nos politiques de tous bords, non seulement s'agissant de la Première Guerre Mondiale mais aussi de la Deuxième ainsi des guerres d'Indochine et d'Algérie où nombre d'Antillais périrent également. En effet, au lieu de laisser à l'Etat français le soin de glorifier nos soldats, au lieu de s'aligner sottement devant les monuments aux morts à chaque commémoration, encadrés par les représentants dudit Etat, ils auraient dû avoir conçu nos propres lieux de recueillement. Et ces lieux ne devraient pas être les centres-villes ou centre-bourgs mais se trouver dans les campagnes, à l'endroit d'où sont sortis la grande majorité de nos soldats, fils de "Nègres d'Habitation", faut-il le rappeler. 

   Il y a aujourd'hui suffisamment de Negs qui, par la force de leurs bras, à force d'abnégation, ont réussi à acquérir des propriétés agricoles un peu partout à travers la Martinique. Il suffirait de leur demander de céder ou alors d'en vendre 50M2 pour pouvoir y bâtir des lieux de mémoire qui seraient nôtres. Car, oui, ces descendants d'esclaves méritent d'être honorés non pas parce qu'ils sont allés défendre l'Amère-patrie, mais parce qu'ils n'avaient pas, en 1914, d'autre choix. 

   S'en tenir aux monuments aux morts officiels est scandaleux. Dégrader ces monuments est infantile.

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